Coordonat de Sorin BOCANCEA
Volum IX, Nr. 2 (32), Serie nouă, martie-mai 2021
Covid-19, le virus de la discorde
La gestion de la pandémie au Brésil de Jair Bolsonaro
et João Doria
Adelina-Maria BOCANCEA
Abstract: Among the most affected countries by the new coronavirus, Brazil has also been home to a continuous political battle between the President and the States’ governors. Through Facebook posts and press declarations, this article follows the confrontation between Jair Bolsonaro and João Doria, governor of São Paolo, since the beginning of the pandemic in March 2020, until January 2021 when the first vaccines arrived in the country. We argue that the divisions arising between these two politicians are a reflection of the deeper issues that the pandemic has brought to the surface in Bolsonaro’s Brazil.
Keywords : Covid-19, pandemic, Brazil, Facebook.
A quelques semaines du début des campagnes de vaccination partout dans le monde, le Brésil fait figure de mauvaise élève en la matière. Ce n’est qu’à la mi-janvier 2021 que le premier vaccin est administré, dans l’État de São Paulo, gouverné par l’un des principaux rivaux du Président dans la lutte contre le Covid-19. João Doria fait ainsi la une de la presse internationale sur le sujet. Depuis les premières heures de la pandémie, la division entre le gouvernement fédéral et les administrations des 26 États brésiliens ont fait la spécificité de la gestion du virus au pays. C’est pourquoi notre recherche vise à analyser de manière comparative l’approche de Jair Bolsonaro et celle de João Doria face à la crise sanitaire, afin de comprendre les enjeux plus profonds que le nouveau virus a fait ressortir à la surface.
Bien qu’il soit difficile de tirer des conclusions sur une problématique qui est toujours en cours de déroulement, l’intérêt de cette étude porte justement sur la nouveauté du sujet mis en question. Ainsi, notre analyse suivra les évolutions de la gestion du Covid au Brésil, depuis le 11 mars 2020 (date à laquelle l’OMS déclare la pandémie) jusqu’à la seconde moitié de janvier 2021, lorsque la campagne de vaccination, tant retardée et contestée, commence dans le pays.
Se pencher sur le cas brésilien s’avère intéressant également d’autres points de vue. D’abord, l’attitude controversée du Président qui nie la gravité de la situation, optant plutôt pour une stratégie politique de la non-action1. Cela projette sur le devant de la scène d’autres acteurs, comme la société civile ou les dirigeants des États fédérés brésiliens
- 2. Dans cette dernière catégorie, l’image de João Doria a été parmi les plus saillantes dans la démarche opposée à celle de Bolsonaro. Le choix de ce gouverneur pour notre étude est d’autant plus justifié qu’il se trouve à la tête du plus grand État du pays et le plus affecté par la pandémie3.
Notre hypothèse principale est que la crise sanitaire au Brésil a fait ressortir des clivages déjà existants dans la société, repris dans les discours des hommes politiques. La question ne se limite donc pas à sauver un maximum de vies et assurer un retour à la normale, mais est animée aussi par des divisions plus profondes qui ne datent certainement pas d’hier. Pour la logique de cette recherche, nous avons décidé d’en retenir deux.
D’abord, la division riches-pauvres qui est une constante au pays où plus de 13 millions de personnes vivent encore dans des favelas4. Nous allons voir que le lien étroit entre santé et populations fragiles n’est pas une nouveauté de l’ère Bolsonaro. Cependant, nous aurions tendance à croire que le virus représente une opportunité pour le Président, afin de renforcer les discours et projets xénophobes qui ont accompagné son élection.
Un autre clivage exploité est l’ancienne confrontation gauche-droite qui, au Brésil comme dans d’autres pays de l’Amérique latine, se confond avec le souvenir encore sensible des dictatures militaires. En ancien membre de l’armée, Bolsonaro s’est dès le départ montré nostalgique quant aux années 1964-1985, investissant les postes-clés de son gouvernement, dont la Santé, par des militaires. De même, sa rhétorique reprend des peurs ancrées dans une partie de la société brésilienne : la menace du communisme. Le virus découvert pour la première fois dans la ville chinoise de Wuhan est-il ainsi une raison de plus de faire craindre à son électorat le danger que représente la gauche.
Nous allons tenter de vérifier l’existence de ces deux grands clivages dans la rhétorique sur le Covid au Brésil en nous appuyant notamment sur les publications Facebook du chef de l’État et de João Doria, ainsi que sur leurs déclarations, reprises par la presse anglophone et francophone. Quel regard portent les deux hommes politiques face aux populations les plus fragilisées par la pandémie ? Quelle est leur attitude quant à la menace de disparition de certaines communautés indigènes dans l’Amazonas ? A quel point le virus reflète-t-il les inégalités et les divisions au sein de la société brésilienne ?
Notre recherche se partage ainsi en trois grandes parties : nous allons, d’abord, retracer un court historique des épidémies et problèmes sanitaires au Brésil afin de comprendre sur quel héritage s’appuie la pandémie de Covid-19 dans ses rapports à la politique. Ceci va nous permettre de mieux saisir la fragilité des popu
lations démunies ou menacées dans leur existence (les Indigènes) et les écarts qui se creusent avec l’élite du pays. Notre étude suivra ensuite la confrontation gauche-droite au Brésil sur fonds de pandémie, certes, mais aussi de mémoire difficile des dictatures militaires. Enfin, la dernière partie de notre recherche va se fonder notamment sur les résultats de l’analyse comparative des publications Facebook et des affirmations dans la presse de Jair Bolsonaro et João Doria dans le sens des deux clivages abordés.
Santé et inégalités
Ortega et Orsini retracent l’historique de la relation entre santé et politique au Brésil. Si la première moitié du XXème siècle connaît des campagnes visant à améliorer la propreté, l’accès à l’eau et l’éradication des épidémies, toutes les actions du gouvernement ne sont pas accueillies les bras ouverts par la population5. La « révolte du vaccin » de 1904 qui prend place à Rio de Janeiro est le point culminant d’une campagne sanitaire sous le signe des inégalités sociales et de la répression6, cachant en vérité le but de détruire des quartiers pauvres afin d’y construire des habitations pour les plus aisés7. Quelques années plus tard, le rôle de l’État dans le domaine de la santé augmente : l’on croit désormais que le pays connaîtra le progrès une fois ces écarts sanitaires éradiqués8. Qui plus est, l’immunisation contre les maladies qui ravageaient jusqu’alors le Brésil commence, dans les années 1930, à faire presque l’unanimité aussi bien au niveau politique que de la société civile9, au point que l’on « associe protection de la santé et médecine préventive avec la construction de l’identité nationale »10.
L’époque des dictatures militaires change la donne, le régime étant coupé de l’état de santé dans lequel se trouvaient ses citoyens11. Les années 1990 connaissent, ensuite, une vague de privatisation du système, qui trouve son écho dans les politiques entamées par Jair Bolsonaro depuis son arrivée au pouvoir.12 Une autre source d’inégalités au pays est le difficile accès à l’eau des populations pauvres, suite à des décisions politiques des années 1980 ; le Covid-19 n’a fait en ce sens que rendre davantage évident l’écart entre les riches et les plus démunis13, le symbole de ces relations fortement hiérarchisées étant incarné par les grandes villes avec gratte-ciels entourés de favelas.
Plusieurs recherches sur la pandémie au Brésil parlent de ces inégalités rendues pires par le virus et la (non)gestion du Président de la crise sanitaire. Maite Conde démontre comment le Covid-19 est arrivé dans le pays apporté d’abord par les riches, à l’image des colonisateurs des siècles précédents, qui emmenaient avec eux des virus mortels pour les populations autochtones14. En avril, le Ministère de la Santé jugeait que plus de la moitié des cas détectés jusqu’alors dans le pays venaient de personnes étant rentrées de voyages à l’étranger
15, Bolsonaro lui-même étant revenu d’une rencontre aux États-Unis avec Donald Trump, suite à laquelle un membre de son équipe présidentielle est tombé malade16. Cependant, c’est bien évidemment la population pauvre, constituant le personnel domestique de cette élite brésilienne, qui en a le plus souffert par la suite. Conde montre, en l’occurrence, comment au début de la pandémie, les cas dans les quartiers riches étaient beaucoup plus nombreux que dans les favelas des grandes villes17 ; la tendance est renversée peu de temps après, avec des taux de mortalité dans certaines zones pauvres qui dépassent les 50%18.
Mais les habitants des quartiers démunis ne constituent pas les seules victimes de la crise sanitaire. Dans son article sur les droits humains des populations autochtones au Brésil, Rodrigues soutient que la démocratisation du pays dans les années 1980 n’a pas forcément été suivie d’une amélioration de la vie des Indigènes19. Ainsi, depuis le XIXème siècle, la mentalité qui perdure dans ce sens en est une paternaliste vis-à-vis d’une catégorie de personnes que l’on considère encore comme devant être « civilisées » par le reste de la société. Malgré des progrès qui ont été accomplis ces trente dernières années, le sort de ces populations reste encore incertain dans une démocratie dominée par des élites, blanches de préférence20.
Durant les dictatures militaires, la priorité du régime étant le développement économique des régions de l’Amazonas, la préservation de l’environnement et des habitats naturels des Indiens ne pouvait alors que bloquer les projets d’infrastructure de l’État tout puissant21. La politique de Bolsonaro suit une logique similaire : il promet dès sa campagne que s’il est élu, plus aucun centimètre de terre indigène ne restera en place22. L’arrivée du virus a servi les projets d’exploitation entamés par le gouvernement qui, sans le contrôle des agences fédérales, a poursuivi dans sa visée économique23. Ces communautés, souvent isolées, sans médicaments et à quelques heures des hôpitaux les plus près se retrouvent très à risque face à la pandémie, avec des milliers de morts depuis le début de la crise24.
Dissensions politiques
L’écart riches-pauvres discuté auparavant se reflète également au niveau politique, dans la division gauche-droite, qui a animé la campagne et cette première partie du mandat de Jair Bolsonaro. Au niveau régional, les disparités peuvent s’expliquer par la croissance rapide de certains pôles économiques grâce à l’industrialisation, qui ont ensuite engendré une forte urbanisation et d’importantes inégalités en termes de revenus et conditions de vie – le São Paulo est l’exemple le plus saillant en l’occurrence25. Le Nord-Est pauvre du pays est, quant à lui, un réservoir de votes pour le Parti des Travailleurs de Lula, ainsi que la cible des supporteurs du Président qui y voient une menace pour leur valeurs conservatrices26.
La période des dictatures militaires a laissé, comme ailleurs en Amérique latine, des traces profondes sur la société. Ce n’est qu’avec l’arrivée de la gauche aux rênes du pays au début des années 2000 que le Brésil s’engagera de manière plus concrète sur la voie de la guérison27. Pourtant, contrairement à d’autres pays de la région, le cas brésilien se remarque par une ouverture tardive (en 2011) d’une commission de vérité, censée enquêter sur les crimes et les atteintes aux droits de l’homme commis à cette époque-là. Qui plus est, l’amnistie que les militaires se sont offerte en 1979 a été confirmée par la Constitution démocratique de 1988 et reste toujours en place à présent28. Goirand et Müller parlent d’une mobilisation des « politiques des mémoires conflictuelles » qui accompagnent le penchant autoritaire que prend le pays depuis la destitution de Dilma Rousseff en 2015. En invoquant la nostalgie des années des dictatures, Bolsonaro non seulement légitime les dérives de l’époque, mais renforce également la haine de son électorat par rapport à la gauche, présumée nécessairement communiste, pour les pauvres et les non-éduqués. Lors des élections de 2018, les propos du candidat de l’extrême-droite accentuent les divisions au sein de la société, en affirmant, par exemple que le Nord-Est, qui avait voté pour le PT, pourrait se séparer du reste du Brésil29.
Bolsonaro versus Doria
Dès l’arrivée du virus au Brésil fin février, le Président en a nié l’ampleur en le traitant de « petite grippe »30 et critiqué fortement les décisions des gouverneurs de mettre en place le confinement. Ces derniers signent alors une lettre ouverte, demandant que le gouvernement fédéral agisse en vue de contenir le nouveau virus31. Si Bolsonaro parle de protéger les pauvres de l’arrêt de l’économie, car « sans emploi les gens meurent »32, pour certains, sa stratégie de s’intéresser subitement aux plus démunis s’inscrit dans une tentative de ne pas porter la responsabilité de la crise économique qui annonce de s’abattre sur le Brésil à cause de la pandémie33. Malgré la forte opposition de Doria, qui est l’un des premiers à instaurer des mesures de sécurité sanitaire, une étude a montré que la favela de Paraisópolis, l’une des plus grandes de São Paulo, avait mieux su gérer la pandémie, en s’organisant localement, que l’État même34. Cependant, convaincu que « les gouverneurs doivent pallier l’absence du leadership du président », João Doria parle très tôt d’aides aux populations précaires, que le São Paulo aurait été prêt à débourser si le gouvernement fédéral ne tenait pas sa promesse35.
Une autre catégorie de population fragile sur laquelle Bolsonaro et le gouverneur ont des approches différentes est précisément celle des Indiens de l’Amazonas, région très affectée, comme nous l’avons déjà vu, par la pandémie, non seulement en termes de nombre de conta
minations et de décès, mais aussi en ce qui concerne l’absence de protection environnementale. En effet, la déforestation a augmenté en 2020 de 171% par rapport à l’année précédente, notamment suite à des intérêts politiques du cercle de Bolsonaro : ainsi une vidéo révèle-t-elle le dessein de son Ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, affirmant qu’il faut profiter de l’attention que reçoit la pandémie dans la presse afin de poursuivre leurs buts économiques36.
La démarche de João Doria visant l’État d’Amazonas suit une dynamique différente. Début 2021, il envoie à Manaus 40 appareils respiratoires en guise de solidarité avec les malades37. La réponse du Président ne tarde pas à venir : il affiche sur sa page Facebook plusieurs vidéos qui affirment le soutient sans failles du gouvernement depuis le commencement de la crise pour l’État du Nord-Ouest brésilien38. Cependant, une fois la campagne de vaccination entamée, c’est bien au tour de Doria d’annoncer la première personne indigène vaccinée contre le Covid.39 Silence radio, cette fois-ci, du côté de Bolsonaro.
Ardent défenseur de l’immunisation, le gouverneur est aussi celui dont l’État de São Paulo voit se faire vacciner le premier Brésilien, dans la personne de Mônica Calazans. L’image est forte, car ce n’est donc pas le chef du pays qui fait la une des journaux pour l’événement, mais bien Doria, qui marque aussi l’événement sur sa page Facebook : « femme, noire, infirmière, écrit-il, (…) Mônica représente non seulement les héros et héroïnes qui luttent en première ligne en mettant leurs vies en péril, mais aussi le peuple brésilien même40 ». Femme et noire – tout ce que le Président aurait méprisé de plus, à nous en rappeler les propos sexistes et racistes qui ont toujours semé ses discours. Et Doria de rajouter : « je suis très ému. Enfin les Brésiliens seront immunisés ».41 Quant à Bolsonaro, le premier jour de vaccination passe inaperçu sur sa page Facebook, mais la réponse vient une semaine plus tard, des plus contradictoires : aux côtés de Xi Jinping, il remercie le gouvernement chinois d’avoir fourni au Brésil ses doses de vaccin42, lui, qui avait tant averti son peuple contre le médicament du géant asiatique.
Un virus communiste?
A l’image de Donald Trump et de ses adhérents, la pandémie a suscité tout une série de théories du complot dont Jair Bolsonaro, connu pour sa dispersion des fake news, a su user afin de renforcer son électorat. Le soutien en l’occurrence de l’Eglise évangéliste, grand supporteur des valeurs que promeut le Président, semble s’être avéré essentiel. Parlant « au nom de Jésus »43 un pasteur parmi les plus connus dans la communauté des évangélistes a fait appel aux médias, et notamment YouTube, pour s’exprimer contre la fermeture des églises, soulignant que la foi en Dieu renforce le système immunitaire et que la prière suffira pour faire face à la pandémie
- 44. Suivant la ligne du chef de l’État, il s’en prend également à ses adversaires politiques, João Doria en tête, les accusant de démagogie45.
Cette rhétorique qui affirme que la liberté passe avant la vie même s’inscrit dans une image presque de martyr : il faut aller jusqu’à assumer la mort pour cause de virus si cela permet de protéger à tout prix la liberté face à la menace communiste46. En effet, si l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro s’est faite sur un fond d’antipétisme47, la pandémie a constitué à de nombreuses reprises une occasion de rappeler le danger que représente la gauche (prétendument communiste) pour le Brésil. La réaction du fils du Président, Eduardo, accusant la Chine d’être responsable pour la crise sanitaire, ainsi que les affirmations, quelques mois plus tard, de Bolsonaro même, pour qui le vaccin contre le Covid ne doit pas venir de la Chine communiste48, met mal à l’aise les relations avec le principal partenaire commercial du Brésil. Un autre point de dispute encore avec son adversaire politique (Bolsonaro parle du « vaccin chinois de João Doria ») qui, lui, soutient le besoin que la population de son État puisse y avoir accès49. D’ailleurs, ce dernier répondra aux attaques du Président non pas en faisant appel aux divisions idéologiques, mais en critiquant la facilité dont Bolsonaro néglige les vies de tant de citoyens50. De même, face aux fake news, le gouverneur du São Paulo publie au mois de mars sur sa page Facebook une vidéo montrant les chefs d’États d’autres pays affirmant la dangerosité du virus, afin de souligner que le Covid n’est pas un complot international51. La campagne de vaccination entamée mi-janvier, Bolsonaro assure qu’il ne va pas y avoir recours. La population se retrouve ainsi entre le désir de retour à la normale et la peur des produits chinois, réputés de mauvaise qualité, réputation à laquelle s’ajoutent les théories de la conspirations promues par le chef de l’Étatmême52.
Conclusions
Partout dans le monde, la première année de la pandémie a fait basculer les repères, alimenter les peurs et ressortir les inégalités déjà existantes dans la société, mettant à rude épreuve gouvernants et gouvernés. Si la majorité des États au monde a imposé des restrictions en vue de contenir la propagation du virus, des voix se sont aussi élevées pour critiquer le confinement et prôner la reprise de l’activité économique qui, à juste titre, s’est retrouvée mise à mal par le Covid-19. Certains sont même allés jusqu’à en nier l’existence ou à croire en un complot. La rhétorique et les (in)actions de Jair Bolsonaro s’inscrivent dans cette dernière logique. Le Brésil, nous l’avons vu, s’est fait remarquer par des politiques contradictoires, entretenues notamment par la confrontation entre le Président et ses gouverneurs. Parmi ces derniers, nous avions choisi de nous pencher sur le personnage de Jo
ão Doria qui, à la tête du plus grand et du plus impacté État brésilien, s’est aussi fait le principal adversaire du leader d’extrême-droite dans la lutte contre la pandémie.
Notre recherche est partie de l’hypothèse selon laquelle la crise sanitaire a fait remonter à la surface des divisions déjà encrées dans la société brésilienne, qui se reflètent dans la confrontation entre ces deux hommes politiques. L’analyse de leurs publications Facebook et des discours repris par les médias va vers une confirmation de cette supposition. En effet, le premier clivage sur lequel nous avons porté notre attention (riches-pauvres) ressort des affirmations de ces chefs d’État. Si d’une part, le Président parle de remettre en marche l’économie afin de sauver ceux qui en dépendent le plus, ses propos ne seraient pas autant motivés par l’empathie, que par des intérêts politiques (ne pas assumer la responsabilité de la crise économique). D’ailleurs, inutile de rappeler que le leader est connu pour son mépris des minorités et des pauvres – la pandémie ne l’a certainement pas fait attraper entre temps le virus de la tolérance et de la générosité. Si Doria a de loin un discours beaucoup plus modéré et inclusif, sa gestion de la crise à l’intérieur de São Paulo n’a peut-être pas eu l’impact recherché dans certaines favelas qui se sont mieux organisées par elles-mêmes, en suppléant le pouvoir politique dans son action. Cependant, le gouverneur s’est tout de même montré sensible à la souffrance du peuple, comme lorsqu’il tombe lui-même malade et commence à penser au sort de tous ceux affectés par ce virus qui « n’a pas de classe sociale »53. Son attitude par rapport aux populations indigènes de l’Amazonas, autre catégorie de personnes très fragiles face au Covid, est très solidaire, sans doute aussi par un souci d’image – il se montre alors à l’opposé de Bolsonaro, réputé un grand ennemi des Indiens du Brésil.
Enfin, ces inégalités et dissensions entre les plus aisés et les plus démunis se reflètent, bien naturellement, au niveau politique avec l’opposition entre la gauche et la droite. Si ce clivage a des origines historiques compliqués et douloureux, le Président n’hésite pas, comme durant sa campagne de 2018, à y faire appel, afin de renforcer sa base électorale. D’ailleurs, ce dernier reste assez stable dans les sondages, voire même augmente en popularité54. Ainsi le virus « venu »de Chine est-il une occasion de plus d’intensifier la rhétorique anti-communiste et d’attaquer son adversaire, Doria, pour son choix de faire vacciner les citoyens avec un produit chinois. Pour le gouverneur, sacré coup d’image en accueillant à la mi-janvier le début de la campagne d’immunisation dans son État. En attendant, la lutte contre le virus continue, de même que la confrontation politique.
Notes
- Francisco Ortega, Michael Orsini, “Governing COVID-19 without government in Brazil: Ignorance, neoliberal authoritarianism, and the collapse of public health leadership”, in Global Public Health, 15:9, 2020, p. 1263.
- Ibid., p. 1265.
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- Francisco Ortega, Michael Orsini, cit., p. 1267.
- Francisco Ortega & Michael Orsini, cit., pp. 1259-1260.
- Ilana Löwy, “Les politiques de vaccination au Brésil : entre science, santé publique et contrôle social”, in Sciences sociales et santé, 2009/3, Vol. 27, p. 112.
- , p. 109.
- , p. 128.
- , p. 125.
- , p. 128.
- Francisco Ortega, Michael Orsini, cit., pp. 1260-1261.
- Ibid., pp. 1261-1262.
- Ibid., p. 1267.
- Maite Conde, “Brazil in the Time of Coronavirus”, in Geopolítica(s) Revista de studios sobre espacio y poder, 11, No. spécial, 2020, p.248.
- Ibid., p. 242.
- 7 juillet 2020, Timeline: Key moments in Bolsonaro’s handling of COVID-19 crisis | Reuters, (consulté enligne le 18 janvier 2021)
- Maite Conde, cit., p. 242
- , p. 243
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